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Mes jolis trésors
2 février 2014

Lecture de janvier

Par une froide journée d'hiver...

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et après une bonne crêpe pour fêter la Chandeleur...

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j'ai fini (enfin !) le seul livre lu en janvier ! un petit bijou !

 Au revoir, là-haut, de Pierre LEMAITRE (Edition Albin Michel, 2013, prix Goncourt 2013)

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4ème de couverture : «Pour le commerce, la guerre présente beaucoup d’avantages, même après».
Sur les ruines du plus grand carnage du XXe siècle, deux rescapés des tranchées, passablement abîmés, prennent leur revanche en réalisant une escroquerie aussi spectaculaire qu’amorale. Des sentiers de la gloire à la subversion de la patrie victorieuse, ils vont découvrir que la France ne plaisante pas avec ses morts…
Fresque d’une rare cruauté, remarquable par son architecture et sa puissance d’évocation, Au revoir là-haut est le grand roman de l’après-guerre de 14, de l’illusion de l’armistice, de l’État qui glorifie ses disparus et se débarrasse de vivants trop encombrants, de l’abomination érigée en vertu.
Dans l’atmosphère crépusculaire des lendemains qui déchantent, peuplée de misérables pantins et de lâches reçus en héros, Pierre Lemaitre compose la grande tragédie de cette génération perdue avec un talent et une maîtrise impressionnants.

Pierre Lemaitre est le lauréat du prix Goncourt 2013 pour ce livre, il a été élu « Meilleur roman français de l’année » par le magazine LIRE et figure dans le palmarès Le Point des 25 meilleurs livres de l'année 2013.

 

Que dire de plus...

Un petit extrait pour vous faire saliver:

Page 18-23 : "Albert Maillard. C'était un garçon mince, de tempérament légèrement lymphatique, discret. Il parlait peu, il s'entendait bien avec les chiffres. Avant la guerre, il était caissier dans une filiale de la Banque de l'Union parisienne. Le travail ne lui plaisait pas beaucoup, il y était resté à cause de sa mère. Mme Maillard n'avait qu'un fils et elle adorait les chefs. Alors bien sûr, Albert chef d'une banque, vous parlez, elle avait été immédiatement enthousiaste, convaincue qu'avec son intelligence" il ne tarderait pas à se hisser au sommet. Ce goût exacerbé pour l'autorité lui venait de son père, adjoint au sous-chef de bureau au ministère des Postes, qui concevait la hiérarchie de son administration comme une métaphore de l'univers. Mme Maillard aimait tous les chefs, sans exception. Elle n'était pas regardante sur leur qualité ni sur leur provenance. Elle avait des photos de Clémenceau, de Maurras, de Poincaré, de Jaurès, de Joffre, de Briand... Depuis qu'elle avait perdu son mari qui commandait une escouade de surveillants en uniforme au musée du Louvre, les grands hommes lui procuraient des sensations inouïes. Albert n'était pas chaud pour la banque, mais il l'avait laissée dire, avec sa mère c'est encore ce qui marchait le mieux. Il avait quand même commencé à tirer ses plans. Il voulait partir, il avait des envies de Tonkin, assez vagues, il est vrai. En tout cas, quitter son emploi de comptable, faire autre chose. Mais Albert n'était pas un type rapide, tout lui demandait du temps. Et très vite, il y avait eu Cécile, la passion tout de suite, les yeux de Cécile, la bouche de Cécile, le sourire de Cécile, et puis forcément, après, les seins de Cécile, le cul de Cécile, comment voulez-vous penser à autre chose.

Pour nous, aujourd'hui, Albert Maillard ne semble pas très grand, un mètre soixante-treize, mais pour son époque, c'était bien. Les filles l'avaient regardé autrefois. Cécile, surtout. Enfin... Albert avait beaucoup regardé Cécile et, au bout d'un moment, à force d'être fixée comme ça, presque tout le temps, bien sûr, elle s'était aperçue qu'il existait et elle l'avait regardé à son tour. Il avait un visage attendrissant. Une balle lui avait éraflé la tempe droite pendant la Somme. Il avait eu très peur, mais en avait été quitte pour une cicatrice en forme de parenthèse qui lui tirait légèrement l'oeil de côté et qui lui donnait un genre. À sa permission suivante, Cécile, rêveuse et charmée, l'avait caressée du bout de l'index, ce qui n'avait pas arrangé son moral. Enfant, Albert avait un petit visage pâle, presque rond, avec des paupières lourdes qui lui donnaient un air de Pierrot triste. Mme Maillard se privait de manger pour lui donner de la viande rouge, persuadée qu'il était blanc parce qu'il manquait de sang. Albert avait eu beau lui expliquer mille fois que ça n'avait rien à voir, sa mère n'était pas du genre à changer d'avis comme ça, elle trouvait toujours des exemples, des raisons, elle avait horreur d'avoir tort, même dans ses lettres elle revenait sur des choses qui remontaient à des années, c'était vraiment pénible. À se demander si ce n'était pas pour ça qu'Albert s'était engagé dès le début de la guerre. Quand elle l'avait appris, Mme Maillard avait poussé les hauts cris, mais c'était une femme tellement démonstrative qu'il était impossible de démêler chez elle ce qui relevait de la frayeur et du théâtre. Elle avait hurlé, s'était arraché les cheveux et s'était vite ressaisie. Comme elle avait une conception assez classique de la guerre, elle avait été rapidement convaincue qu'Albert, "avec son intelligence", ne tarderait pas à briller, à monter en grade, elle le voyait partir à l'assaut, en première ligne. Dans son esprit, il effectuait une action héroïque, il devenait aussitôt officier, capitaine, commandant, ou davantage, général, ce sont des choses qu'on voit à la guerre. Albert avait laissé dire en préparant sa valise.

Avec Cécile, ce fut très différent. La guerre ne l'effrayait pas. D'abord, c'était un "devoir patriotique" (Albert fut surpris, il ne l'avait jamais entendue prononcer ces mots-là), ensuite, il n'y avait pas vraiment de raison d'avoir peur, c'était quasiment une formalité. Tout le monde le disait.
Albert, lui, avait un petit doute, mais Cécile était un peu comme Mme Maillard finalement, elle avait des idées assez fixes. À l'écouter, la guerre ne ferait pas long feu. Albert n'était pas loin de la croire ; quoi qu'elle dise, Cécile, avec ces mains, avec cette bouche, avec tout ça, à Albert, elle pouvait lui dire n'importe quoi. On ne peut pas comprendre si on ne la connaît pas, pensait Albert. Pour nous, cette Cécile, ce serait une jolie fille, rien de plus. Pour lui, c'était tout autre chose. Chaque pore de sa peau, à Cécile, était constitué d'une molécule spéciale, son haleine avait un parfum spécial. Elle avait les yeux bleus, bon, à vous, ça ne vous dit rien, mais pour Albert, ces yeux-là, c'était un gouffre, un précipice. Tenez, prenez sa bouche et mettez-vous un instant à sa place, à notre Albert. De cette bouche, il avait reçu des baisers si chauds et tendres, qui lui soulevaient le ventre, à exploser, il avait senti sa salive couler en lui, il l'avait bue avec tant de passion, elle avait été capable de tels prodiges que Cécile n'était pas seulement Cécile. C'était... Alors, du coup, elle pouvait soutenir que la guerre, on n'en ferait qu'une bouchée, Albert avait tellement rêvé d'être une bouchée pour Cécile...
Aujourd'hui, évidemment, il jugeait les choses assez différemment. Il savait que la guerre n'était rien d'autre qu'une immense loterie à balles réelles dans laquelle survivre quatre ans tenait fondamentalement du miracle.
Et finir enterré vivant à quelques encablures de la fin de la guerre, franchement, ce serait vraiment la cerise.
Pourtant, c'est exactement ce qui va arriver.
Enterré vivant, le petit Albert.
La faute à "pas de chance", dirait sa mère.
Le lieutenant Pradelle s'est retourné vers sa troupe, son regard s'est planté dans celui des premiers hommes qui, à sa droite et à sa gauche, le fixent comme s'il était le Messie. Il a hoché la tête et pris sa respiration.

Quelques minutes plus tard, légèrement voûté, Albert court dans un décor de fin du monde, noyé sous les obus et les balles sifflantes, en serrant son arme de toutes ses forces, le pas lourd, la tête rentrée dans les épaules. La terre est épaisse sous les godillots parce qu'il a beaucoup plu ces jours-ci. À ses côtés, des types hurlent comme des fous, pour s'enivrer, pour se donner du courage. D'autres, au contraire, avancent comme lui, concentrés, le ventre noué, la gorge sèche. Tous se ruent vers l'ennemi, armés d'une colère définitive, d'un désir de vengeance. En fait, c'est peut-être un effet pervers de l'annonce d'un armistice. Ils en ont subi tant et tant que voir cette guerre se terminer comme ça, avec autant de copains morts et autant d'ennemis vivants, on a presque envie d'un massacre, d'en finir une fois pour toutes. On saignerait n'importe qui.

Même Albert, terrorisé par l'idée de mourir, étriperait le premier venu. Or, il y a eu pas mal d'obstacles ; en courant, il a dû dériver sur la droite. Au début, il a suivi la ligne fixée par le lieutenant, mais avec les balles sifflantes, les obus, on zigzague, forcément. D'autant que Péricourt, qui avançait juste devant lui, vient de se faire faucher par une balle et s'est écroulé quasiment dans ses pattes, Albert n'a eu que le temps de sauter par-dessus. Il perd l'équilibre, court plusieurs mètres sur son élan et tombe sur le corps du vieux Grisonnier, dont la mort, inattendue, a donné le signal de départ à cette ultime hécatombe.
Malgré les balles qui sifflent tout autour de lui, en le voyant allongé là, Albert s'arrête tout net.
C'est sa capote qu'il reconnaît parce qu'il portait toujours ce truc à la boutonnière, rouge, ma "légion d'horreur", disait-il. Ce n'était pas un esprit fin, Grisonnier. Pas délicat, mais brave type, tout le monde l'aimait bien. C'est lui, pas de doute. Sa grosse tête s'est comme incrustée dans la boue et le reste du corps a l'air d'être tombé tout en désordre. Juste à côté, il reconnaît le plus jeune, Louis Thérieux. Lui aussi est en partie recouvert de boue, recroquevillé, un peu dans la position du foetus. C'est touchant, mourir à cet âge-là, dans une attitude pareille...

Albert ne sait pas ce qui lui prend, une intuition, il attrape l'épaule du vieux et le pousse. Le mort bascule lourdement et se couche sur le ventre. Il lui faut quelques secondes pour réaliser, à Albert. Puis la vérité lui saute au visage : quand on avance vers l'ennemi, on ne meurt pas de deux balles dans le dos."

Lisez ce livre car vraiment il est super !

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